UN STOCKAGE SOUTERRAIN DANS LES LANDES ?

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (François Rabelais 1483-1553)

Comme vous, simple citoyen landais, ce projet m’intrigue, me fait peur, mais aussi m’excite dans la mesure où il est porteur d’emploi, de sécurité sous forme de lumière ou de chaleur. Après avoir participé à plusieurs séances de la commission nationale du débat public, je reste sur ma faim. Quels sont les tenants et aboutissants techniques du projet EDF ? Au delà du pourquoi, puis je avoir quelques certitudes sur le comment et sur les éventuels risques associés ?

Alors retour vers ma jeunesse étudiante : tu fais de la bibliographie, tu définis l’état de l’art, et tu peux te faire un début d’idée sur ce sujet. Les liens cités dans l’ordre chronologique sont placés à la fin.

1.  Les saumoducs sont protégés de la corrosion par « protection                                 cathodique ». Qu’es aquò ?

La protection cathodique consiste a appliquer un courant électrique permettant de stopper la corrosion (1 et 2). Les articles 3 et 4 nous mènent aux limites de cette technologie :   »L’efficacité du système (3) est  réduite par le manque de continuité électrique dans le saumoduc, par la perte d’adhérence des revêtements, par les interactions avec des structures métalliques voisines, par l’influences de courants électriques continu ou alternatifs…. »

Courant imposé (4) : surprotection et risques humains possibles, interaction fortes avec autres structures 

Mes peurs ne font que grandir. La diversité des zones traversées par le projet de saumoduc (barthes, ruisseaux, dunes, océan) si différentes en terme d’hygrométrie ne sont-elles pas un facteur de complexification de la structure donc de risques ? Les saisons, les inondations, les marées ne font-elles pas grandement varier la résistivité des terrains et par là-même accélérer la corrosion et détruire les revêtements ? Les canalisations mises en place par forages « dirigés » sous les zones « sensibles » pourront-elles être contrôlées ? Le saumoduc pourra-t-il côtoyer les courants vagabonds du TGV ? L’analyse de tous ces risques a-t-elle été faite ? ? ? Quels en sont les résultats ? ? ? Hélas, un accident avec fuite dans le parc naturel du Luberon à Manosque (5) a eu lieu dans le stockage d’hydrocarbure d’un dôme de sel. La corrosion caverneuse est une réalité dévastatrice de zones naturelles… Y a-t-il eu un défaut de  surprotection cathodique ?

2.  Une cavité saline est un endroit idéal pour stocker du gaz.  C’est à voir !

La création des formations salines en Aquitaine résulte de l’accumulation de sel et de sédiments, puis à la remontée du sel sous forme de « bulles » à la faveur de mouvement du sous-sol. Le sel se comporte comme un liquide peu dense dès qu’il est soumis à la pression des couches géologiques supérieures : il migre vers la surface en bulles (dômes) ou en couches (replis diapirs). Une activité sismique régulière, des entrées d’eau et des dépôts sédimentaires argileux, des inclusions de roches au sein de la masse saline, une chimie complexe et ancienne (donc différente des constituants actuels de l’eau de nos océans), voilà la réalité géologique de ce lieu où un stockage est envisagé…

Le site de St Pandelon analysé par le BRGM (bureau de recherche générale minière) n’est pas un site idéal (7 et 8) : il y a d’importantes hétérogénéités et beaucoup d’insolubles…. Bref, il faut chercher les poches de sel pur dans ce massif. Sachant que la composition d’un sel est complexe (NaCl, Kcl, Mg Cl, …), qu’un site est caractérisé par son histoire géologique, que les propriétés d’un sel dépendent de sa composition (9), voilà que ça se complique…

« Les autres sels solubles, de potassium ou de magnésium, fluent en général beaucoup plus que le sel gemme, et il est donc déconseillé d’y creuser des cavités de stockage. » (9)

De plus (10), une cavité dans une masse saline continue à subir des pressions permanentes du milieu environnant: laissée vide, elle se comble graduellement ou brutalement par fracturation de sa partie sommitale. Il peut alors se produire des mélanges, des pollutions aquifères (eau potable) et d’eaux thermales (profondes). Il peut même y avoir des cas de sismicité induite: un tremblement de terre peut être créé par un remplissage ou un soutirage de gaz dans la cavité !

Le rapport Inéris (10) détaille les aléas liés au stockage de gaz CO2 en sous-sol aquifère salin: « D’une manière générale, en amont de tous ces aléas, trois principaux types de processus ont lieu au sein du site de stockage : 

  • les contraintes géomécaniques qui se développent en réponse à la surpression induite par l’injection de quantités massives de CO2 ; 
  • les réactions hydrogéochimiques dues à la dissolution du CO2 injecté qui vont modifier l’état d’équilibre de la composition des saumures profondes et induire des phénomènes de dissolution-précipitation au sein de la roche-réservoir ;
  • les processus microbiologiques. »

Ah bon, parce qu’en plus, c’est vivant là-dessous ! Le gaz réagit avec son milieu environnant ?

A St Pandelon, c’est de la roche saline. Dans ce cas, les risques mécaniques sont permanents dès le creusement et l’endommagement est cumulatif durant l’exploitation (cycle de mise en pression / soutirage). La cavité serait donc maintenue en permanence sous pression en laissant un solde de gaz (9).  En fin de vie, il faut gérer l’abandon par scellement de la cavité pleine de saumure. Cet ensemble sel + saumure devra accommoder les contraintes mécaniques dues à la dilatation de la saumure, établir un nouvel équilibre chimique stable, interagir, diffuser, bref se faire oublier… en attendant les chercheurs cherchent (11) et comme nous se posent beaucoup de questions.

Je ne suis toujours pas convaincu car ces études très poussées montrent que finalement,  on doit essayer la cavité jusqu’à sa pression de rupture afin de savoir à peu près quoi faire. Et beaucoup d’inconnues subsistent sur le devenir de la solution mise en œuvre: le comportement hydraulique des massifs de sel reste à étudier… la perméabilité des massifs est un paramètre clef inconnu… l’influence des impuretés insolubles du sel est importante et complexe…(9, 10, 11).

3.  Il nous faut des certitudes. Les stockages souterrains existant dans le                   monde sont-ils fiables ?

Il y aurait eu un incident à Manosque. (bon ça fait un). Et puis je tombe sur un bilan dans l’article Inéris (10) justement: « Dans le cadre du projet ANR PICOREF, l’INERIS a effectué une recherche sur la base des données françaises ARIA du Ministère en charge de l’Ecologie, qui recense les incidents et accidents industriels (Roux et al, 2009) : y sont rassemblés les cas d’accidents documentés dans la littérature concernant les stockages souterrains de gaz. » (10)

L’un des cas les plus intéressants pour constituer un retour d’expérience sur l’analyse des aléas liés à la filière CSC concerne la fuite survenue en 2001 à Hutchinson aux Etats-Unis : du gaz, provenant d’un stockage souterrain en site naturel, s’est infiltré à travers les anfractuosités du terrain et les failles et a provoqué l’éruption de plusieurs geysers jusqu’à 11 km de distance (10).

Cela montre que, dans des conditions spécifiques, des phénomènes d‘occurrence soudaine en surface peuvent avoir lieu tout en étant initiés par des mécanismes profonds à cinétique plutôt lente.

La grande majorité des accidents recensés concernent les installations de surface mais l’IEA (2006) a également recensé 9 incidents avant 1970 et 8 sur la période 1980-2004 dans les sites de stockages souterrains de gaz naturel dont un survenu dans un stockage en aquifère et un en gisement épuisé.

En ce qui concerne les causes ou facteurs ayant participé à l’occurrence de ces accidents et qui sont pertinents pour les stockages géologiques de CO2, on relève principalement les suivants :

  •  un défaut d’étanchéité au niveau des vannes régulatrices du débit de gaz,
  • une dégradation du cuvelage et/ou de la cimentation des puits,
  • une dégradation de la couverture du réservoir de stockage.

La base ARIA (12) consultée sur internet a fait l’objet d’une recherche par les mots clefs : stockage souterrains. Deux fichiers en résultent selon le mode d’interrogation (13), voici quelques cas cités :

MANOSQUE: la rupture du tube en acier est un problème de corrosion par aération différentielle. Localement un défaut de protection du tube en acier a provoqué une corrosion accéléré...

WITELSHEIM: le fluage massif des tunnels en sel conduit à l’évacuation d’une partie des déchets consécutif à un incendie…. Des résurgences des déchets sont probables dans quelques siècles…

NOVARA: encore des tubes défectueux, et une pollution externe à grande distance

BAOCHE: 70 morts

BRENHAM: 3 morts, 800 ha touchés

TERSANNE: France,  feu à la station de re-compression (ça chauffe quand on comprime…)

Partout de multiples incidents sur des vannes, des clapets, … on frôle la catastrophe en France…

CONCLUSION:

J’ai au moins une certitude, l’analyse rejoint le bon sens.

Le projet de stockage souterrain de gaz dans les Landes doit être abandonné, en l’absence de données fiables complètes, compréhensibles et cohérentes communiquées par le maître d’œuvre, en l’absence d’études indépendantes de ces données par des experts reconnus, à cause d’incidents récurrents de part le monde sur la filière, incidents à très forts impacts humains et environnementaux.

Un projet de ce type fait courir des risques réels de désastre économique et écologique, dans une région tournée vers la nature, le thermalisme, le tourisme, l’océan, l’agriculture, l’élevage et la sylviculture.

Jean Michel Moresmau – Soustons le 10 janvier 2012

Les sources:

  1. http://cetra.pagesperso-orange.fr/techprot.htm
  2. http://www.pareatis.be/documents/La protectio cathodiqu des peniches.pdf
  3. http://www.ineris.fr/badoris/Pdf/GIL/GIL_protection_cathodique_V1_1.pdf
  4. http://www.protectioncathodique.net/la-corrosion-aqueuse-systemes-de-protection-cathodique.php
  5. http://provence-alpes.france3.fr/info/geosel-manosque04-fuite-d-hydrocarbure-62838311.htm
  6. http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/208/04.pdf.txt?sequence=3
  7. http://infoterre.brgm.fr/rapports/74-SGN-168-AQI.pdf
  8. http://infoterre.brgm.fr/rapports/RR-39353-FR.pdf
  9. http://sfp.in2p3.fr/Debat/debat_energie/E2PHY/durup.pdf
  10. http://www.ineris.fr/centredoc/drs-10-100887-12619a-eureka&evariste-v4.3def-rapport.pdf
  11. http://www.imprimerie.polytechnique.fr/Theses/Files/Karimi Jafari.pdf
  12. http://www.aria.developpement-durable.gouv.fr/recherche_accident.jsp
  13. Résultats de recherche d’accidents : stockage souterrain – sur www.aria.developpement-durable.gouv.fr

L’article à voir à propos du sujet:  La conservation après usage des cavités salines

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