Avis défavorable sur le plan scientifique!

Ancien chercheur au CNRS au Laboratoire Epoc, à la retraite depuis 8 mois, j’ai mené de nombreuses missions océanographiques au large de la Gironde de 1980 à 1990, puis dans le Golfe de Gascogne avec IFREMER et le SHOM, et de 2007 à 2009 au large de l’Adour (entre Cap-Breton et Donostia) avec le CNRS et l’AZTI. Sédimentologue et océanographe de formation, je me suis spécialisé au cours des 20 dernières années sur l’exploitation des images satellites pour l’étude des particules en suspension dans le milieu marin.

Mon avis sur ce projet est défavorable sur le plan scientifique à cause des risques et des impacts sur l’environnement. D’abord les risques : le creusement des cavités peut entrainer des fuites et (ou) des affaissements de terrain car contrairement à ce qui est présenté les diapirs (dômes de sel) sont faillés et certains sont affleurant d’après la carte géologique (Feuille de Dax, BRGM). Il n’est pas prouvé que ces creusements n’entrainent pas d’affaissements localisés. En plus la composition de ces dômes de sel est mal connue. Un seul puit (SDL1) a été foré. En ce qui concerne les impacts environnementaux (en dehors des zones Natura-2000), le saumoduc va rejeter pendant 10 ans minimum 800m3/h de saumure à 250, 300g/L. C’est énorme.

Contrairement à ce qui est écrit, l’impact va porter sur plusieurs km2 si la couche s’étend sur le fond par mer calme, moins par mer agitée, mais dans ce cas, c’est toute la tranche d’eau qui sera sur-salée. Pour le zooplancton, le phytoplancton, les petits crustacés et les poissons vivants près du fond, cet effet sera loin d’être négligeable. Enfin je rappelle que la France doit respecter une directive européenne, la directive-cadre stratégie pour le milieu marin (2008/56/CE) concernant la façade maritime Sud-Atlantique, qui stipule le maintien d’un bon état écologique de notre domaine maritime du littoral jusqu’à la ZEE.

Sur un autre plan, l’aspect économique du projet me parait peu convaincant.

Simulation de la dispersion des eaux saumâtres avec le modèle numérique Telemac3D. 
Simulation avec le modèle Telemac3D avec des paramètres d’un mois de mars, donc des conditions de mélange plus élevées qu’en été (P.147). Pas d’information sur la validation du modèle, le choix des paramètres utilisés. Aucune indication n’est donnée sur la durée de la simulation.

L’estimation p.148 d’une augmentation de salinité de 5g/L sur 20m autour du diffuseur et sur 2m d’épaisseur pour un débit de 860m3/h et 250g/L est très optimiste. En effet si la saumure s’écoule pendant 2h en occupant une épaisseur de 2m, la couche s’étalera sur une surface de 50m x 20m x2m et avec une concentration de 300g/L et non de 40g/L. Sur les figures de simulation qui accompagnent cette présentation (à toute petite échelle, donc peu visible) au point de rejet, la salinité ne dépasse pas 40g/L ! (p.153, 5-16) C’est incompréhensible. (Si le rejet est vraiment de 40g/L et non de 250g/L, alors oui, l’impact peut être faible.)

Mais par ailleurs dans le résumé de cette étude il est dit : « Le refoulement de la saumure influera la qualité des sédiments par : une augmentation de la salinité dans le milieu sédimentaire et une baisse des apports en oxygènes. coupant ainsi les échanges naturels entre le milieu sédimentaires et la colonne d’eau (anoxie du milieu, baisse de la teneur en oxygène) » P.22. Que croire ?

Cette modélisation est sujette à caution puisque le modèle de diffusion n’est pas vraiment expliqué en détail. Il s’agit d’une étude préliminaire. Les valeurs semblent discutables ou (au mieux) très mal présentées. Il n’y a pas d’essais sur modèle réduit, ni de validation.

Rejet des matières particulaires.
Si la concentration en MES reste peu élevée (45mg/L de particules sèches), celles-ci n’auraient en effet que peu d’incidence. Mais, il y aura des métaux dissous indésirables comme le cadmium, le mercure ou le plomb. Ces concentrations même faibles peuvent avoir une incidence non négligeable sur le milieu marin. Le rapport note simplement que des « analyses complémentaires sont prévues pour affiner ces aspects et leurs incidences potentielles » (p.14)

Hydrodynamique.
Les eaux sur-salées, mais surtout les sédiments en suspension peuvent être ramenées à la côte lors des tempêtes généralement orientées d’Ouest. En effet, les sédiments en suspension subiront l’action des vagues qui les ramèneront sur le littoral. La combinaison de l’action des vagues et du vent génère un courant de surface violent. De même sur le fond, les vagues en déferlant entraine une grande quantité de sédiments. Ce sont des paramètres à prendre en compte. Il aurait été nécessaire de simuler ce transport « vers la plage » et d’estimer les taux de concentration à la côte.

Des phrases ambiguës
« Les poissons démersaux, ne seront pas directement impactés (pas de mortalité). En revanche, ce compartiment se nourrissant du macrobenthos, les poissons démersaux déserteront la zone la plus impactée par l’augmentation de salinité. »P.24

« Le meiobenthos, constitué majoritairement d’espèces tolérantes aux variations de températures et de salinité, (Quinqueloculina seminulum, Milliamina fusca, Ammonia tepida, Ammonia beccarii) ne sera impacté que pour des concentrations supérieures à 5 g/l. »

« La zone d’incidence reste relativement restreinte par rapport au territoire total couvert parles pêcheurs de la région. L’incidence sur la pêche en mer reste donc modérée. » P.25

Jean-Marie Froidefond
Dr es Sciences
21 Allée Toulouse Lautrec
33470 Gujan-Mestras

Contribution reçu le 18 janvier 2012

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